Le Maroc, Puissance Émergente dans la Gouvernance Mondiale de l'IA - Spécial 2025

Lettre spéciale consacrée à la stratégie IA du Maroc : leadership à l'ONU, loi Digital X.0, stratégie Maroc Digital 2030, hub africain et infrastructures souveraines.

15 November 2025 Newsletter IA & Éducation

Spécial Maroc & IA

ONU Leadership
Digital X.0 Loi-cadre
Maroc 2030 Vision
Hub D4SD 38 M$

Synthèse : Maroc & IA 2025

ONU Co-parrain de la première résolution IA
2030 100% services publics numérisés
38 M$ Hub D4SD (PNUD–Maroc)

Le Maroc s'affirme comme une puissance émergente dans la gouvernance mondiale de l'intelligence artificielle. Cette position repose sur la convergence de trois dynamiques : une diplomatie active au sein des Nations Unies, une stratégie nationale structurée (Digital X.0 et Maroc Digital 2030) et un rôle assumé de hub régional africain pour l'innovation numérique.

Diplomatie proactive à l'ONU, loi-cadre Digital X.0, stratégie Maroc Digital 2030, hub régional africain : le Royaume construit méthodiquement une souveraineté numérique éthique et tournée vers le développement durable.

Figure clé : Amal El Fallah Seghrouchni

Au cœur de cette stratégie se trouve Mme Amal El Fallah Seghrouchni, Ministre Déléguée chargée de la Transition Numérique et de la Réforme de l'Administration, professeure d'IA à l'UM6P et ancienne directrice de l'AI Movement. Sa nomination illustre un choix fort : placer une scientifique de rang international à la tête d'un portefeuille stratégique.

Elle incarne le lien entre recherche de pointe, innovation appliquée et décision publique. Sous sa supervision, le Maroc ne se contente pas d'adopter des solutions importées : il construit une souveraineté numérique éthique, inscrite dans le temps long et pensée pour l'Afrique.

Ce choix – confier la transition numérique à une experte scientifique – distingue le modèle marocain de nombreux pays où la décision politique reste peu connectée aux enjeux techniques de l'IA.

Diplomatie internationale

Co-parrain de la première résolution onusienne sur l'IA, co-présidence d'un Groupe des Amis sur l'IA pour le développement durable, porte-voix du Sud global dans les enceintes multilatérales.

Souveraineté numérique

Loi-cadre Digital X.0, identité numérique souveraine, gouvernance des données et interopérabilité comme piliers d'une IA responsable et d'une indépendance technologique maîtrisée.

Hub africain

Partenariats Sud–Sud (Gabon, PNUD, etc.), hub D4SD, centre de données de Dakhla et Institut Jazari : le Maroc se positionne comme plateforme technique et normative pour l'Afrique.

Un rôle de premier plan dans la gouvernance mondiale de l'IA

Un leadership unique au sein des Nations Unies

Guidé par la Vision Royale, le Maroc mène une diplomatie anticipatrice sur l'IA. L'Ambassadeur Omar Hilale, Représentant permanent auprès de l'ONU, porte une position claire : l'accès équitable aux outils, compétences et infrastructures IA est une question de justice et de solidarité, pas un simple volet technique.

"L'accès équitable aux outils, compétences et infrastructures de l'IA n'est pas une simple question d'assistance technique, mais une exigence fondamentale de justice, d'innovation partagée et de solidarité."

— Ambassadeur Omar Hilale, Représentant permanent du Maroc auprès de l'ONU

Cette posture résonne fortement dans un contexte où la fracture technologique se creuse entre pays riches et pays émergents. Le Maroc plaide pour que l'IA soit considérée comme un bien public mondial, et non comme un outil de domination économique. Il rappelle que le Sud dispose d'atouts propres (jeunesse, diversité des données, besoins spécifiques) qui doivent être intégrés aux discussions globales.

Leadership diplomatique

Le Maroc joue un rôle de "pont" entre blocs géopolitiques, bénéficiant d'une crédibilité particulière comme pays non-aligné technologiquement, capable de dialoguer avec l'Occident, la Chine et le reste de l'Afrique.

  • • Co-parrainage de la première résolution onusienne sur l'IA avec les États-Unis
  • • Co-présidence d'un Groupe des Amis sur l'IA au service des ODD
  • • Seul pays arabe et africain invité à co-parrainer l'initiative, position de porte-voix du continent

Sources : maroc.ma, L'Économiste

Plaider pour une IA éthique et responsable

Une approche pragmatique de la sécurité

Lors d'un débat de haut niveau du Conseil de sécurité en juillet 2024, le ministre Nasser Bourita présente l'IA comme une technologie à double tranchant. Pour la première fois, le Conseil aborde l'IA comme une menace potentielle à la paix et à la sécurité internationales.

Le Maroc met en garde contre la prolifération incontrôlée de systèmes d'IA pouvant renforcer les capacités de groupes malveillants : armes autonomes, cyberattaques massives, manipulation de l'information à grande échelle. Le message est clair : sans cadre normatif contraignant, l'IA peut devenir un facteur de déstabilisation majeur.

Menaces identifiées
  • • Cyberattaques sophistiquées contre les infrastructures critiques (énergie, finances, eau)
  • • Deepfakes et désinformation à grande échelle, déstabilisant les sociétés
  • • Utilisation par des groupes terroristes pour planifier des attaques et recruter en ligne
  • • Course aux armements autonomes sans garde-fous éthiques internationaux

Des solutions inspirées du droit international

Le Maroc propose de s'inspirer de la Résolution 1540 (2004) sur la non-prolifération des armes de destruction massive. L'analogie est forte : certains usages de l'IA pourraient, à terme, présenter un niveau de risque comparable.

Parmi les pistes avancées : mécanismes d'inspection, dispositifs de sanction, coopération renforcée entre agences de renseignement et obligation de transparence pour les États développant des systèmes d'IA militaires. Le Maroc ne se contente pas de dénoncer, il propose un agenda opérationnel.

Applications positives mises en avant
  • • Systèmes d'alerte précoce (conflits, famines, crises migratoires)
  • • Lutte contre la désinformation via des algorithmes de vérification
  • • Protection des opérations de maintien de la paix (drones, analyse prédictive)
  • • Optimisation de l'aide humanitaire et de la résilience climatique
Contexte : Les grandes puissances peinent à s'accorder sur une résolution du Conseil de sécurité consacrée à l'IA. La contribution marocaine propose un socle minimum centré sur la sécurité collective, au-delà des rivalités géopolitiques.

Une stratégie nationale pour une IA souveraine et éthique

La loi-cadre "Digital X.0" : pilier de la gouvernance

Le projet de loi-cadre "Digital X.0" constitue la pièce maîtresse de la gouvernance de l'IA au Maroc, comme le souligne le CADE Project. Plutôt qu'une simple transposition du RGPD ou de l'AI Act, il s'agit d'un cadre souple, évolutif, adapté aux réalités d'un pays émergent ambitionnant de devenir un hub régional.

Sous l'impulsion d'Amal El Fallah Seghrouchni, Digital X.0 articule protection des citoyens et stimulation de l'innovation. Il définit des responsabilités claires pour développeurs, administrations, entreprises et plateformes, prévoit des évaluations ex-ante pour les systèmes critiques et des audits de conformité assistés par l'IA.

Intégration public/privé

Digital X.0 encadre la numérisation des services publics et favorise les partenariats public–privé, avec publication de registres publics des algorithmes utilisés dans l'administration.

Gouvernance des données

Identité numérique souveraine, consentement traçable et reconnaissance des données comme biens communs régulés, avec possibilités de portabilité et rémunération.

Responsabilité algorithmique

Obligation de démontrer la non-discrimination des algorithmes et encouragement à la diversité des équipes pour limiter les biais culturels.

Économie circulaire des données

Création de data spaces sectoriels (santé, agriculture, énergie) permettant un partage sécurisé des données pour maximiser la valeur sociétale.

Trois piliers stratégiques

  • Gouvernance des données : cadre légal pour le partage sécurisé et la valorisation responsable.
  • Identité numérique : système souverain et interopérable, au cœur de la relation citoyen–État.
  • Interopérabilité : standards ouverts pour éviter la capture par quelques géants technologiques.
Impact attendu (projections)
  • • +2% de croissance du PIB liée à la digitalisation
  • • -30% de corruption administrative grâce à la traçabilité
  • • +50% de transparence des services publics
Lecture : longtemps en retard sur la protection des données, le Maroc fait le saut directement vers une loi "3e génération" combinant inspirations européennes et innovations adaptées au Sud global (sandboxes régulatoires, data spaces, identité numérique).

"Maroc Digital 2030" : une vision structurante

Robot IA symbolisant la transformation numérique du Maroc

Objectifs macroéconomiques

Adoptée en 2023, la stratégie Maroc Digital 2030 ambitionne de faire du Royaume un hub régional pour l'IA et l'innovation numérique, comme le souligne The New Africa Magazine. Au-delà des infrastructures, elle porte un projet de transformation sociétale.

Sous le co-pilotage d'Amal El Fallah Seghrouchni, la stratégie vise à former 200 000 jeunes aux compétences IA (et pas seulement à la programmation), à numériser 100% des services publics et à créer plus de 300 000 emplois numériques d'ici 2030.

100% Services publics numérisés
300k+ Emplois numériques
200k Jeunes formés à l'IA
5 Md$ Investissements public–privé

Écosystèmes et partenariats

Partenariat avec Mistral AI

Un laboratoire de modèles linguistiques multilingues (arabe, amazigh, langues africaines) est co-développé à Benguerir avec Mistral AI, afin de produire des modèles ancrés dans les contextes juridiques et culturels locaux (droit islamique, droit coutumier africain, médecine traditionnelle).

Il s'agit d'un geste fort de décapitalisation linguistique : au lieu d'importer des modèles anglophones biaisés, le Maroc construit des IA qui reflètent ses réalités et celles du continent.

Programmes d'excellence
  • JobInTech : formation gratuite de 50 000 jeunes/an, avec objectif de 70% d'insertion en 6 mois.
  • Initiation précoce : ateliers IA dès le primaire via des kits robotiques open source conçus au Maroc.
  • GITEX Africa : grand salon à Marrakech (1 000 startups, 30 000 visiteurs), vitrine continentale.
  • Green AI : obligation de recourir à des data centers alimentés en énergies renouvelables.

Un hub régional pour l'Afrique

Coopération Sud–Sud et partenariats

Partenariat avec le Gabon

Le Gabon décrit le Maroc comme un "modèle continental" de transformation numérique. Le partenariat signé en 2024 prévoit la formation de 500 ingénieurs gabonais dans les universités marocaines et la mise en place d'un hub technologique à Libreville sur le modèle de Casablanca.

L'approche marocaine se distingue par une logique de co-construction plutôt que d'assistance : transfert de compétences, partage de plateformes, gouvernance conjointe des projets.

Programmes concrets
  • • Formations en IA et data science en partenariat avec l'Université Virtuelle Africaine (Rabat).
  • • Plateformes d'apprentissage à distance traduites en langues locales (lingala, swahili).
  • • Algorithmes pour une exploitation forestière durable et traçable.
  • • Accompagnement à la création d'un tech hub à Libreville.
Hub D4SD (Digital for Sustainable Development)

Lancé en 2024 en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, ce hub est un partenariat public–privé PNUD–Maroc financé à hauteur de 38 M$, dont 60% apportés par le Royaume.

Santé

Diagnostics IA dans 100 hôpitaux ruraux

Éducation

Tutorat intelligent pour 1 M d'élèves

Climat

Prévision des sécheresses et gestion de l'eau

Source : PNUD

Infrastructures et cybersécurité

Centre de données de Dakhla

Dakhla accueillera un méga-centre de données vert, alimenté à 100% par des énergies renouvelables (ensoleillement et vent constants). Objectif : devenir un nœud majeur de stockage et de calcul pour l'Afrique.

Avec une puissance visée de 50 MW et un PUE de 1,1, le centre sera relié à l'Europe et à l'Afrique de l'Ouest via des câbles sous-marins et optimisé pour les charges IA (entraînement et inférence de modèles).

Cybersécurité : un enjeu crucial

Selon SAMENA Council, le Maroc a subi plus de 12,6 millions de tentatives de cyberattaques en 2024, en hausse de 40% par rapport à 2023. Les secteurs les plus visés : banques, télécoms, services cloud publics.

En réponse, un Centre national d'opérations de cybersécurité (C-NOC) fonctionne 24/7 et une feuille de route 2025–2030 vise à renforcer la résilience des infrastructures critiques.

Institut Jazari

L'Institut Jazari (en référence à Al-Jazari, pionnier de la robotique) fédère universités, entreprises et acteurs publics pour accélérer la R&D en IA. Il fonctionne comme un "superconnecteur" entre besoins industriels, recherche académique et entrepreneuriat.

Parmi les projets : détection automatique de fraude fiscale, modèles d'optimisation de l'irrigation dans les oasis, automatisation intelligente de la collecte de taxes locales. L'institut vise 50% de femmes dans ses effectifs d'ici 2027.

Connectivité et inclusion

La connectivité demeure un point de vigilance : couverture 5G concentrée dans les grandes villes, coûts élevés de la bande passante, fracture numérique urbain/rural. La stratégie prévoit d'investir 1 Md$ dans des infrastructures rurales et micro-centres de données.

Feuille de route 2025–2030

  • • 2025 : adoption de la loi Digital X.0
  • • 2026 : mise en service du centre de Dakhla
  • • 2027 : 50% des services publics assistés par l'IA
  • • 2030 : reconnaissance onusienne du Maroc comme hub techno africain

Conclusion : un modèle singulier pour l'Afrique

Forces du modèle marocain

Le Maroc ne se contente pas d'"adopter" l'IA : il cherche à façonner les règles du jeu pour que cette technologie serve le développement humain durable. Trois piliers sont indissociables :

  • Volonté politique : une Vision Royale claire, de long terme, assumant l'IA comme enjeu stratégique.
  • Expertise scientifique : la nomination de profils comme Amal El Fallah Seghrouchni garantit la crédibilité technique des politiques.
  • Diplomatie proactive : un positionnement de pont entre Nord et Sud, Europe, monde arabe et Afrique.

Enjeux et conditions de réussite

Pour réussir, ce modèle devra maintenir une indépendance stratégique face aux grandes puissances technologiques (États-Unis, Chine, UE) tout en multipliant les partenariats. Les principaux défis identifiés :

  • • Éviter toute dépendance à un seul écosystème technologique.
  • • Réduire la fracture numérique et territoriale à l'intérieur du pays.
  • • Créer des emplois qualifiés à grande échelle pour la jeunesse.
  • • Préserver la diversité linguistique et culturelle dans les modèles IA.
Note : la crédibilité du modèle marocain repose aussi sur sa capacité à démontrer, par des projets concrets (santé, éducation, climat), que l'IA peut être au service des citoyens et non l'inverse.

Cette lettre s'appuie sur des déclarations officielles, des rapports onusiens et des analyses spécialisées afin d'offrir une synthèse stratégique de la position du Maroc dans la gouvernance mondiale de l'IA.

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